mercredi 6 mai 2015

Rencontres

6 mai 2015


Syndrome de la page blanche ? J'entends mon cerveau ruminer, mais je ne sais sur quoi pour l'instant. Cet après-midi, il est bientôt 16h00, j'ai un peu mal à la tête. Sans doute suis-je resté trop longtemps place de la mairie, en plein soleil, assis sur un banc, comme hier, à regarder pendant une bonne heure le manège de l'association qui était déjà là hier. Donc mal de tête, marre de ce maux, j'ai pris du « doliprane au dérivés morphinique » pour la soulager. Là, ça commence à agir, je sens ma tête moins lourde et c'est un soulagement.

Le temps est d'humeur changeante cet après-midi, bien plus que ce matin. Ça n'arrête pas d'alterner entre averses et soleil, raison pour laquelle j'ai quitté la place de la mairie et me suis réfugié à la terrasse couverte d'un café. Oui, je fume encore. Tout mon temps passé place de la mairie, je n'ai cessé de scruter la présidente de cette association, cette rescapée de je ne sais quel camps de concentration. Je cherchai, ou plutôt attendait, le moment opportun pour entamer un dialogue avec elle. Mais elle était trop accaparé, tout le temps sollicité, surtout par des classes d'enfants venues avec leurs professeurs à sa rencontre. Oui, j'ai appris ce matin qu'elle donnait des conférences dans les écoles, afin d'éveiller les consciences. Tant pis, peut-être n'aurais-je plus l'occasion de croiser sa route, je verrai cela en rentrant tout à l'heure, je referai un détour par la mairie.

Donc ce matin, tandis que j'étais assis sur un banc place de la mairie, un membre de cette association est venu vers moi. Nous avons discuté de leur manifestation, de l'esprit de cette dernière, mais j'ai dû lui avouer que je n'étais pas dans cet esprit, celui de l'espoir en l'homme, de la foi en une évolution positive de notre espèce, lui rappelant que la Shoah n'avait pas empêché que l'histoire se répète, au Rwanda, en Serbie, et maintenant Daesh ou Bokaram. Je lui ai donc parlé de Cioran, lui ai signifié que j'étais plus proche de ce genre de philosophie, de perception des choses, pensant comme Cioran qu'au final tout était vain, surtout ma confiance en l'homme avec un grand H. Nous ne retenons rien de l'histoire, sinon ce qui nous arrange, et reproduisons toujours les mêmes erreurs, les mêmes dégâts, mais en pire puisque la technologie évolue. Ce monsieur qui m'a donc abordé s'appelait Jean-Pierre et c'est sur une poignée de main que nous nous sommes quittés.

En fin d'après-midi, la place de la mairie avait un tout autre aspect. En effet, en plus de l'association « bonheur », s'était ajouté deux autres associations qui, elles aussi, exposaient l'objet de leur existence. Donc face à moi, sur ma droite il y avait le stand et les arbres de l'association « bonheur », sur ma gauche une association contre les centres de rétentions, contre la privation de liberté des sans-papiers, chaque membre faisant un cercle autour d'une grosse bougie pour manifester pacifiquement, dans le silence, invitant les passants à se joindre à eux, informant les rennais qu'il existait depuis sept ans un centre de rétention à Rennes, à la grande surprise de la majorité de ces derniers, et entre ces deux associations, celle du « bonheur » et celle de la « liberté pour tous », il y avait celle des « câlins bonheur », composée de six ou huit personnes qui ouvraient leur bras à qui le voulait afin de faire, justement, un câlin bonheur. Pendant un instant, de voir ces trois monde se côtoyer sur la même place, au même moment, chacun dans son délire, dans son trip, dans sa cause, je me suis crûs entrer dans une troisième galaxie. D'un côté on écrivait son bonheur du jour sur un bout de papier puis accrochait ce dernier à un arbre, symbole de vie, d'un autre côté on priait pour la liberté, pour des détenus venus chercher en France, en Europe un oasis qu'ils n'ont pas chez eux, et entre ces deux causes, on s’entrelaçait à coup de câlin furtif, rapide, mais fait avec le sourire. C'était surréaliste. M'approchant des pancartes et panneaux qui dénonçaient l'existence des centres de rétentions afin de m'informer de leur contenue, une mamie me prit à partie, je ne sais pourquoi, m'expliquant que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde, qu'à Rennes c'était de pire en pire, que l'on ferait mieux de s'occuper d'abord de nos pauvres, français de souche bien entendu, avant d'accueillir qui que ce soit d'étranger. Alors je lui répondis que l'on ne quittais jamais son pays de gaîté de cœur, surtout dans les conditions qui sont celles des sans-papiers, comme ce qui se passe en méditerranée aux abords de l'Italie. De même je lui disais que même s'il y avait déjà trop de pauvres en France, pour autant nous ne cherchions pas à nous exiler, c'est que notre situation, même avec un simple RSA de merde, était tout de même plus enviable que la leur, qu'ici personne ne mourrait de faim, même si pour beaucoup c'était la galère chaque jours, tandis que tous ces africains qui quittaient leur pays, leur continent, n'avaient peut-être pas, justement, de quoi manger chaque jours, au moins çà. Bien sûr cette mamie n'avait pas tout à fait tort dans ses propos, ce que je lui concédais aisément, mais de là à nier, à occulter qu'il y avait bien plus miséreux que nos pauvres, je ne pouvais en faire l'impasse. Quoi qu'il en soit, ni elle ni moi n'avons trouvé la solution à cet épineux problème, le partage des richesses et, ce, au niveau mondial.

Aujourd'hui j'ai donc rencontré du monde, parlé trois ou quatre fois avec de parfaits inconnus, chose qui ne m'était jamais arrivé depuis mon arrivée à Rennes et, je dois l'avouer, cela m'a fait plaisir. Oui, subitement, c'est comme si je me sentais à nouveau exister dans ce monde, avoir un sens, au moins celui d'échanger des points de vues. Ceux-ci me seront-ils utiles, seront-ils utiles à mes interlocuteurs, interlocutrices, je ne le sais, mais d'échanger, d'avoir été en lien direct avec mes semblables, même si ce fût bref, m'a requinqué, me redonne le moral, du courage pour recommencer à aller vers l'autre, chose que je faisais naturellement naguère et que j'ai complètement cessé de faire depuis janvier 2014, date à laquelle Cynthia et moi avons déménagé de Saint-Étienne pour nous installer à Lyon, proche du centre où j'étais alors suivi pour mon cancer. Cela fait donc un an et demi que je n'aborde plus personne, ne cherchant plus à entrer en relation avec de nouvelles personnes et, du fait de mon expérience de ce jour, je crois que j'ai mal fait, me suis trop enfermé sur moi-même, dans ma maladie ou sur la maladie en générale, négligeant l'humain, le vivant, le réel, le tangible. Oui, je crois qu'il faut que je rencontre de nouvelles personnes qui me prendront tel que je suis aujourd'hui, avec ma maladie et mes handicaps, des personnes qui ne sachent pas qui j'ai pu être avant, ce que j'étais, comme Tony et d'autres le savent, que je me sente pris et accepter comme une personne neuve et non plus comme une personne qui a changé. Oui, ma famille ou mes amis, malgré eux, me ramène sans cesse à mon passé, à cet être que je ne suis plus et, comme je le constate, irrémédiablement cela me ramène au pourquoi de ce changement, c'est à dire à ma maladie, au cancer. Il faut que je prenne des vacance avec lui et pour se faire, je le crois fortement, il me faut du sang neuf autour de moi, du sang neuf dans ma vie, un peu comme repartir de zéro et construire à partir de là je ne sais quoi avec d'autres individus, individus vierge de mon passé, de celui que je fus, valide, sain, dans leur esprit.

2 commentaires:

  1. Enfin des projets pour l'avenir; j'ai eu peur pour vous après votre séjour à Paris, vous aviez l'air très déprimé.
    Vous avez raison, il ne faut pas rester seul à ruminer la maladie; autour de nous, il y a des gens qui souffrent et qu'on peut aider
    D'accord avec vous sur votre analyse sur les nazis, daech etc. A Oradour sur Glane, il y a une petite phrase de Geoges Santamaya qui m'a beaucoup plu: " ceux qui oublient le passé se condamnent à le revivre"
    En ce qui concerne les migrants, je sui aussi totalement d'accord avec vous; il faut être bien malheureux pour quitter son pays. Le problème, c'est que peut-on leur offrir? Ils partent en croyant que l'Europe est l'eldorado car c'est ce qu'on leur fait croire. Quelle vie digne auront ils chez nous? Et que pouvons nous faire à notre niveau quand on voit tous ces nababs qui se goinfrent sur le malheur et la misère?
    Quant à votre frère, votre mère ou votre sœur, vous les aimez autrement vous ne vous poseriez même pas la question
    J'ai été un peu longue à me manifester mais je gardais un de mes petits enfants, un rôle que j'adore même si il est fatigant
    Je vous embrasse ainsi que Cynthia; préservez la pendant qu'elle prépare son mémoire; ça a l'air d'une fille très chouette
    Et si je vous emm...avec mes conseils n'hésitez pas à me le dire

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  2. Bonjour Mamy, je suis encore en phase d'éveil (malgré qu'il soit 10h30 et que je sois levé depuis 8h00), mon cerveau est encore un peu au ralenti, mais comme j'ai envie de vous répondre, de dialoguer avec vous, et bien adviendra ce qu'il adviendra, même si mes propos risquent d'être décousus.
    D'abord vous ne m'ennuyez pas du tout avec vos conseils, vos remarques et vos opinions. Si tel était le cas, si l'avis d'autrui pouvait réellement m'indisposer, je n'aurai pas de blog ou, si j'en avais un, le paramétrai pour que l'on ne puisse pas me laisser de commentaires. Non, je prends l'avis d'autrui, surtout lorsque cela concerne ma condition, car vous avez forcément un recul que je ne peux avoir sur mes propres états d'âmes et les actes, décisions que je prends en conséquence. On voit mieux lorsqu'on a la tête hors de l'eau, ce qui est votre cas à mon égard, que lorsque l'on a la tête dans l'eau, ce qui est mon cas lorsque je me regarde.

    Concernant mes liens, mon attachement avec les divers membres de ma famille, il est vrai que je me suis souvent interrogé et continue encore. Que je les aime, certainement, mais à quel point, cela je n'en sais rien. De même, qu'implique, que veux dire aimer quelqu'un avec qui on ne partage plus rien, ou presque, avec qui on ne construit plus rien?

    Quant à notre monde, son fonctionnement, ses inégalités cauchemardesques, flagrantes, que dire? Il est clair que l'Europe n'est pas l'Eldorado rêvé par les migrants et que très peu le savent. Comme vous dites, une fois qu'ils sont là, que pouvons-nous leur offrir de décent, alors que pour une bonne partie de nos propres compatriotes nous avons déjà bien du mal à leur donner la possibilité de vivre décemment. C'est, pour moi, une question insoluble puisque je ne vois comme solution qu'un partage équitable des richesses. Mais dans l'histoire de l'humanité, excepté peut-être à ses débuts, lorsque nous n'étions que des Homo-Sapiens vivant en tribu de 20 ou 30 membres, je n'ai jamais vu une civilisation appliquer cet adage. Le partage équitable des richesses n'a jamais existé à ma connaissance et, je le crains, cela se poursuivra ainsi, accentuant encore les inégalités et l'injustice. De penser à tout ça me fatigue désormais tant cela me désole.

    Ce matin il pleut sur Rennes, je ne sais ce qu'il en est à Rouen. La météo annonce un peu de soleil pour l'après-midi. Je l'attends donc avec impatience. Oui, ces derniers jours je n'a pas trop envie d'écrire sur mon blog, de tenir mon journal. Je préfère profiter du paysage, regarder les gens passer, vivre, rire, cela m'aide à ne pas être constamment dans ma maladie, ce qui n'est pas un mal.

    Quant à Cynthia, même si je le fais parfois maladroitement, j'essaye de la préserver, de ne pas être un poids supplémentaire, une astreinte de plus...

    Je vous embrasse, vous dis à bientôt, et vous souhaite un excellent week-end !

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